Politiques et Fonctions Publiques

Les frères Garat

Les frères Garat sont célèbres en Iparralde en raison de leur participation, en qualité de députés du tiers-état labourdin, aux États généraux de France en 1789 et aux événements qui les suivirent.

Fils de Pierre Garat, docteur en médecine Sieur de Maillia et de Marie d'Hiriart, fille d'un maître chirurgien, Sieur de Beaulieu de Macaye, Dominique dit "l'aîné" est né à Ustaritz en Labourd, le 12 décembre 1735, le second Dominique-Joseph le 8 septembre 1749 à Bayonne. Ils passèrent leur enfance à Ustaritz, élèves au séminaire de Larressore. Les brillantes dispositions pour l'étude de Dominique Joseph attirèrent l'attention de son oncle, Laurent Garat, professeur de philosophie au collège de Guyenne qui plaida pour que son neveu aille à Bordeaux dans un établissement de plus haut niveau. Âgé d'à peine douze ans, il rejoignit ses frères, Dominique, déjà établi à Bordeaux où il était avocat depuis 1755, et ses deux jeunes frères qui étaient logés chez leur oncle.

Après uns scolarité au collège de Guyenne, où il fit l'apprentissage de la nouvelle philosophie dite "expérimentale" et des idées nouvelles qui révolutionnèrent la société du XVIIIème siècle, dite "des lumières", il commença, en 1765, des études de droit, sous l'égide de son frère aîné chez lequel il vivait. Dominique, brillant avocat qui cumulait les succès et qui s'était marié en 1762 avec Françoise Gouteyron, artiste lyrique, fille du chirurgien du maréchal de Saxe, faisait partie de la loge maçonnique "l'Amitié", établie aux Chartrons. En avril 1773, il fonda avec d'autres avocats la loge "l'Harmonie" dont il devint secrétaire. C'est de cette loge du "Grand Orient", que sortira le groupe révolutionnaire des Girondins, dont firent partie les deux frères. Dominique Joseph fut initié à "l'Amitié" où il noua des relations qui allaient être précieuses pour la suite de sa carrière. Mais aux dossiers, il préférait la philosophie et les belles lettres. Sentant qu'à Bordeaux il n'avait pas d'avenir, il quitta, en 1777, son frère et partit, plein d'espoir, à Paris où il s'inscrivit avocat au parlement.

Les deux frères faisaient partie de cette bourgeoisie "éclairée" du XVIIIème siècle qui fréquentait les salons à la mode et les loges maçonniques, lieux de débats philosophiques, politiques et de participation au mouvement des idées. Tous deux étaient hostiles aux structures de l'Ancien Régime dont ils critiquaient l'arbitraire, l'anachronisme et l'injustice.

Á Paris, Dominique Joseph se fit admettre, grâce à son frère et ses amis francs-maçons, à la loge des "Neuf Soeurs", dite "loges des philosophes", fréquentée par des célébrités, telles que Voltaire, Condorcet, Bailly, Rabaud Saint Étienne, Camille Desmoulins, Brissot, Danton et autres personnages dont l'appui lui fut très utile. L'un d'eux, Alexandre Deleyre et son ami Thomas fréquentaient assidûment le célèbre éditeur Panckoucke qui l'intégra dans son équipe. Dès 1778, il fut appelé à rédiger des articles au Mercure de France. Chez Panckoucke, il fit la connaissance des plus beaux esprits de l'époque. Morellet l'introduisit au salon de Madame Helvétius, veuve d'un riche fermier général et homme de lettres, qui, dans sa charmante maison d'Auteuil, recevait des philosophes dont le rôle politique sera important lors de la Révolution. Il y rencontra de nombreuses célébrités. Célibataire, ayant peu de besoins, choyé par la société qu'il fréquentait, recherché pour son esprit, Dominique Joseph menait la vie qu'il aimait, un peu frivole. En dépit de cette vie artificielle et luxueuse, il n'oubliait pas son Pays basque ; il publia des articles dans le Mercure et, en 1785, un petit ouvrage pour faire connaître son beau pays.

Mais, très ambitieux, il se voulait célèbre ; il se lança dans un art qui l'attirait, celui des éloges, que l'Académie française mettait périodiquement à un concours d'éloquence. En 1779, il remporta le prix d'éloquence de l'Académie française pour son éloge de Suger, ministre des rois Louis VI et Louis VII, puis, en 1781, pour son éloge de Montausier, gouverneur du Dauphin, fils de Louis XIV, et en 1784 pour son éloge de Fontenelle. La notoriété qu'il avait ainsi acquise, le fit appeler pour donner des cours d'histoire au lycée en remplacement de Marmontel qui ne tarda pas à lui laisser sa chaire. Ses leçons étaient consacrées à l'histoire égyptienne et romaine, dont il tirait une philosophie et faisait de fréquentes allusions à la situation de l'Europe en cette fin du XVIIIème siècle. Ces leçons connurent un succès éclatant ; on se disputait les places pour venir l'écouter.

Les provinces souffraient alors d'une crise économique, d'un fisc de plus en plus vorace et des excès de la Ferme générale. Les Labourdins, en particulier, au voisinage de la Soule qui avait perdu tous ses privilèges en 1730, voyaient les leurs de plus en plus menacés et sentaient la nécessité d'avoir un correspondant à Versailles pour défendre leurs intérêts auprès du roi. En 1778, la communauté d'Ustaritz proposa Dominique Joseph Garat, établi à Paris où il avait d'importantes relations. Le Biltzar entérina cette proposition et ne tarda pas à solliciter son aide.

Les caisses de l'État étant vides et toutes les tentatives pour porter remède au déficit des finances ayant échoué, le recours à l'impôt était inévitable. Mais, pour obtenir du peuple des subsides supplémentaires, il fallait leur accord. Par l'arrêt du Conseil du 8 août 1788, Louis XVI décida la convocation des États généraux de France qui ne s'étaient pas réunis depuis 1614. La convocation fut envoyée le 24 janvier 1789 dans tous les bailliages et sénéchaussées, qui étaient les circonscriptions administratives de base. Le Labourd, pays abonné, faisait partie de la Sénéchaussée des Lannes dont le siège était à Saint Sever. Le Sénéchal la transmit par l'intermédiaire de son lieutenant à Bayonne, au Syndic du Pays de Labourd. Celui-ci réunit le Biltzar le 7 mars pour en informer la population. Les Labourdins refusèrent d'être mêlés à d'autres peuples et réclamèrent une représentation propre. Ils chargèrent Dominique Joseph Garat et Pierre Dithurbide, doyen des avocats du tribunal du bailliage, de remettre leur requête au roi. La cause du pays dut être bien plaidée, car Louis XVI reconnut, le 28 mars 1789, la spécificité du Labourd et le droit d'avoir ses propres députés, alors que les Bayonnais qui avaient fait la même démarche, furent déboutés.

Conformément aux instructions royales, chaque ordre devait rédiger un cahier des doléances et désigner ses députés: un pour le Clergé, un pour la Noblesse et deux pour le Tiers qui avait obtenu, en raison de son importance quantitative, le doublement de sa représentation. Au Biltzar du 14 mars, le Syndic avait demandé à chaque communauté de rédiger un cahier de doléances pour la réunion suivante du 23 mars. Ce qui fut fait. Le 23 mars, le Biltzar désigna douze commissaires pour fondre ces cahiers en un seul. Selon la procédure démocratique en vigueur au Pays basque, le cahier général fut, après avoir été traduit en langue basque, imprimé et envoyé à toutes les communautés. Le cahier définitif fut approuvé, avec ceux du Clergé et de la Noblesse, par le Biltzar du 13 avril. Dans son cahier des doléances, les membres du Tiers se plaignaient des exigences du fisc et de la tyrannie des employés des Fermes ; mais, dans son article 47, ils demandaient qu'on leur conserve leur constitution particulière... Ils se trouvent assez bien de ce régime ; ils craindraient d'en changer. De même, le Clergé, dans son cahier des doléances, rédigé par l'évêque de Bayonne assisté de trois commis, demandait à être conservés comme nous avons toujours été et à ne nous mêler à aucun autre peuple...; toutefois, il se plaignait, comme la Noblesse, d'être exclu de l'administration du pays, et il réclamait un Évêque basque.

La réunion plénière des trois ordres eut lieu, en l'église d'Ustaritz, le 19 avril. Le Clergé comprenait 72 clercs, la Noblesse seulement 12 assistants et le Tiers 125 députés. Le discours d'ouverture fut prononcé par Dominique Joseph Garat. L'auteur, anonyme, de la relation de cette assemblée apprécie ainsi son discours: M. Garat, porté depuis peu au pays sur les ailes du patriotisme, a parlé avec le talent qu'on lui connaît. Les vrais connaisseurs, les gens de sang froid, ont regretté qu'il n'ait pas oublié un instant sa profession, et auraient désiré qu'il eût moins parlé aux yeux et à l'oreille ; ce qui a fait soupçonner dès lors, comme l'événement l'a prouvé depuis, qu'il plaidait toute autre chose que la cause du Tiers. Les trois ordres se séparèrent ensuite pour élire leurs députés. Le Tiers, réuni au siège du Biltzar, désigna à l'unanimité Dominique Joseph Garat, dit le jeune, qui avait si bien plaidé la cause du pays auprès du roi. Par son talent et ses relations à Paris, il promettait le succès de ses interventions en faveur du pays.

Le choix du second député fut plus difficile. Les communautés choisirent Pierre d'Ithurbide qui avait collaboré avec Dominique Joseph Garat dans sa mission à Paris et avait remarquablement bien mené les débats à l'Assemblée plénière. Mais, le frère aîné de Dominique Joseph Garat, avocat au parlement de Bordeaux, arriva dans le pays et brigua le second mandat. Soutenu par son frère, le Syndic général du pays et le Procureur du roi, qui firent une active campagne en sa faveur, tenant table ouverte dans les auberges, Garat aîné fut élu. Leremboure de Saint Jean de Luz fut désigné comme suppléant.

Les membres du Clergé désignèrent pour député le curé de Ciboure, l'abbé de Saint Esteben. Pour la Noblesse, le député élu fut le marquis de Caupenne, Seigneur de Saint Pée sur Nivelle et lieutenant du roi à Bayonne ; mais ayant décliné son mandat, ce fut son suppléant, Pierre Nicolas de Haraneder, Vicomte de Macaye qui se rendit à Versailles.

Une séance plénière réunit les trois ordres, en l'église d'Ustaritz, le 24 avril. Les trois cahiers des doléances furent remis aux députés qui prêtèrent serment de bien servir les intérêts de leur pays. La délégation labourdine arriva à Versailles pour l'ouverture des États généraux, le 5 mai.

La nuit du 4 août, pour mettre fin aux soulèvements des paysans dans les provinces et éviter de tout perdre, le Vicomte de Noailles et le Duc d'Aiguillon proposèrent à la Noblesse l'abolition des droits féodaux et de la corvée. Cette suggestion reçut un accueil enthousiaste. Un député du Tiers breton, Le Guen de Kerandall, fit un discours enflammé, proposant l'abolition des privilèges. Et, dans une frénésie tumultueuse commença la grande scène des renonciations. Les députés du Clergé et de la Noblesse multiplièrent les abandons. Puis, on alla encore plus loin, proposant la suppression des statuts particuliers des villes, des pays d'États et autres collectivités locales. Emportés par l'enthousiasme et la frénésie patriotique qui agitait l'Assemblée, les députés du Labourd votèrent avec les autres la suppression des privilèges. Le décret du 11 août suivant officialisa cet abandon. C'était la fin de l'autonomie des provinces basques et de leurs institutions séculaires.

Les frères Garat avaient trahi leurs compatriotes. Lorsque la nouvelle parvint en Labourd, ce fut un tollé général. Le Biltzar du 1er septembre désavoua ses députés, et adressa une protestation indignée à l'Assemblée nationale dont il envoya le double aux frères Garat, avec une lettre très sévère.

Mais les révolutionnaires, aux prises avec l'oeuvre grandiose de rénovation de l'État, ne prêtèrent aucune attention à ce petit peuple, perdu au pied des Pyrénées, accusé d'être pétrifié dans une obstruction stérile. Les frères Garat qui, désireux de se faire pardonner leur défaillance du 4 août, défendaient avec force les privilèges du Labourd, sont signalés comme mauvais citoyens et figurent dans la liste des suspects affichée en 1791 dans les rues de Versailles.

Les Souletins, suivant l'exemple de leurs voisins, les Béarnais, et trouvant là l'occasion de se défaire d'une Noblesse encombrante, ratifièrent sans protester la destruction d'une autonomie séculaire, il est vrai bien diminuée depuis 1730. Les Navarrais ne se sentaient pas concernés ; mais, le 8 octobre, l'Assemblée délibéra sur le titre à donner au roi dans les actes publics. Elle proposa roi des Français, supprimant le titre historique de roi de France et de Navarre. Dominique Joseph Garat prit la défense de la Navarre, faisant remarquer que si le titre de roi de Navarre était abandonné, cette omission favoriserait l'ambition de l'Espagne sur l'ensemble de la Navarre. Polverel rédigea un célèbre mémoire, dans lequel il produisait les preuves historiques de l'indépendance de la Navarre. Une Nation qui se veut libre ... ne commencera pas par attenter à la liberté d'autrui, écrivait-il. En dépit de ce mémoire où étaient déployés les arguments les plus convaincants, en dépit de l'éloquence Garat aîné qui défendit devant l'Assemblée l'indépendance de la Navarre, l'Assemblée supprima le titre de roi de Navarre. Á la suite d'une campagne de presse bien menée et des intrigues des agents du roi, le ralliement du pays, résigné, se fit petit à petit. La Navarre fut incorporée à la Nation française par le décret du 30 décembre 1789.

Seuls, les Labourdins continuaient à résister. Le Biltzar, réuni une dernière fois, le 18 novembre, adressa un nouveau plaidoyer à l'Assemblée Nationale, dont ils envoyèrent le double aux frères Garat, demandant le maintien de leur constitution, ajoutant: Si contre notre attente, il y avait une impossibilité absolue de laisser le Labourd en lui-même, c'est avec les Basques navarrais et ceux de Soule qu'ils pourraient fraterniser le mieux, parce qu'il y ait entre eux une identité des moeurs et des lois. Mais cette requête n'eut pas plus de succès que la précédente.

Les révolutionnaires poursuivaient leur oeuvre d'unification. Le 11 janvier 1790, fut présenté à l'Assemblée le projet présenté par le Comité de Constitution relatif à la réorganisation administrative de la France. Afin d'anéantir les provinces, pour absorber dans la grande patrie ce qui restait des anciennes patries provinciales, l'Assemblée Nationale Constituante déclara que le royaume de France serait divisé en départements. Bien que la division abstraite envisagé par le comité chargé d'opérer ce découpage, ait soulevé bien des oppositions, notamment de la part de Mirabeau qui demandait la conservation des provinces comme cadres des futurs départements, les vues dogmatiques de Sieyès et le projet rationnel de Thouret l'emportèrent à l'Assemblée.

Le projet prévoyait un département qui réunissait le Béarn, la Soule, la Basse Navarre, le Labourd et Bayonne. Les frères Garat, soutenus par le Vicomte de Macaye, plaidèrent la constitution d'un département basque. Garat aîné déclara: L'assemblage qu'on vous propose est physiquement et moralement impossible. La différence des langues est un obstacle insurmontable. Réunissez des hommes dont les uns parlent une langue, les autres une autre, que voulez-vous qu'ils se disent ? Ils finiront par se séparer comme les hommes de la Tour de Babel. Garat jeune démontra que dans le département envisagé, les Basques étant en minorité, les décisions seraient prises par les Béarnais.

Mais l'éloquence des frères Garat fut vaine. Par décret du 12 janvier 1790, la France fut découpée en 83 départements, aussi égaux que possible en dimensions, pourvus de noms géographiques pour effacer tout souvenir des provinces. Par le décret du 8 février, fut créé le département du Béarn, divisé en six districts dont trois basques. Le vote définitif du décret sur la division de la France en départements intervint le 26 février et le roi le sanctionna le 4 mars ; le département de Béarn, dont le nom rappelait trop une ancienne province, fut rebaptisé département des Basses-Pyrénées. Le choix du chef-lieu donna lieu à de nouvelles discussions, notamment dans ce dernier département où Pau et Bayonne étaient en concurrence. Après des débats passionnés, Pau fut choisi comme chef-lieu, Bayonne étant jugée trop excentrique.

Le 3 juillet 1790, Dominique Garat accéda au secrétariat de l'Assemblée nationale et assuma cette charge jusqu'au 30 septembre 1791. Les débats à l'Assemblée étant houleux et confus, ses rappels à l'ordre étaient fréquents. Il s'opposa notamment à Sieyès, Robespierre, Barnave... et à l'extrémité gauche. Ses nombreuses interventions sur des sujets les plus divers suscitaient approbation des uns et hostilité des autres. Condorcet, dans ses Mémoires, porte sur lui ce jugement bref: Homme probe, sensé et quelquefois éloquent. La faiblesse de sa voix qu'il lui était difficile de faire entendre au-milieu du tumulte de l'Assemblée, l'empêchait d'intervenir longuement et d'exposer ses idées. Il préféra les exposer dans la presse, notamment dans le journal de Paris, le plus lu. Il y apparaît comme modéré, justifiant les excès, défendant le peuple et désireux de sauver la Révolution. Il fut un grand laudateur de Necker: Telle est la simplicité de l'homme de bien et du grand homme ; il pense toujours à ce qu'il lui reste à faire, toujours à ses devoirs et jamais à ses vertus.

Les deux frères ne purent empêcher le Tribunal du district d'être transféré d'Ustaritz à Bayonne, en vertu du décret du 21 août 1790. C'était la fin de l'antique bailliage. Á la fin de l'année 1790, la nouvelle administration était en place. De privilégiés, les Basques étaient devenus des administrés. Paradoxalement, les Basques, de tous temps libres, égaux et démocrates, perdirent, au nom de ces mêmes idéaux, non point l'abstraite liberté philosophique inscrite dans la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, mais leurs libertés réelles, concrètes, affirmées et revendiquées dans leur cahier des doléances ; ils virent s'établir dans leur communauté une oligarchie bourgeoise qui s'empara des terres et du pouvoir, et, trop pauvres pour pouvoir voter dans un régime censitaire, ne purent prendre part aux élections.

Certains historiens ont insisté sur "l'acceptation" et le "loyalisme" des Basques, mais c'était de la résignation, laquelle se transforma en hostilité après le vote, le 12 juillet 1790, de la Constitution civile du Clergé. La majorité des prêtres du Labourd refusèrent de prêter le serment exigé de fidélité à la Nation et à la loi. Réfractaires ou insermentés, expulsés du territoire, ils se réfugièrent en Espagne. Les Labourdins refusèrent les prêtres constitutionnels et entrèrent en résistance passive vis-à-vis des révolutionnaires.

Après avoir pris une part active dans la rédaction de la Constitution, déçu, et quelque peu revenu de ses illusions, Dominique Garat quitta Paris, renonçant à la carrière politique et même au barreau. Il se retira à Ustaritz, suivant avec une inquiétude croissante les événements.

Les cantons basques avaient envoyé de nouveaux députés: Pierre Dithurbide, l'évincé de 1789, et Sauveur Leremboure. Malgré les démêlés qu'il avait eus avec Pierre Dithurbide, Dominique Joseph était en bons termes avec les nouveaux députés, mais les membres de la nouvelle Assemblée se montrèrent en général peu indulgents pour les anciens membres de la Constituante qu'ils accusaient de leur avoir transmis une Constitution maladroite et des finances désastreuses. Le droit d'assister aux séances dans une tribune réservée leur fut bientôt retiré. Dominique Joseph n'avait plus rien à faire dans la nouvelle Assemblée, d'autant plus qu'il y subissait des avanies.

Ses articles dans la presse étaient très critiqués, non pour ses talents littéraires, mais pour ses jugements politiques: on lui reproche l'art de se maintenir au milieu de deux partis, et même de servir l'un sans trop nuire à l'autre. Rivarol l'appelait le confiseur de l'Assemblée.

Aussi, lorsque son ami Talleyrand, de retour d'une mission en Angleterre, lui proposa de l'accompagner, en qualité de conseiller, il accepta, bien que père de famille, sa compagne, Marie Sainjal, lui ayant donné un fils, Paul, le 1eravril 1791. L'un de ses compagnons de voyage, Étienne Dumont, écrivait: La conversation de Garat n'était pas profonde, mais elle était brillante et aimable. Il contait à merveille, il était heureux, après avoir été si longtemps enfermé à Paris, au milieu des scènes de la Révolution et dans les travaux du Cabinet. La liberté, l'oisiveté, le plaisir de voir cette Angleterre qu'il admirait d'avance et qu'il ne connaissait point, donnaient à son imagination un essor élastique et une vivacité charmante. Mais la délégation fut mal reçue par les Anglais. Après son départ, un journaliste écrivait: Le rhéteur Garat vient d'être renvoyé de Londres à Paris, on a trouvé son esprit trop lourd à la suite d'une ambassade aussi légère.

En France, l'anarchie régnait. Garat adhéra à la radicalisation de la Révolution, et il accueillit avec joie les événements du 10 août 1792, journée au cours de laquelle l'émeute triomphante força Louis XV, Monsieur Veto, et sa famille à se mettre sous la protection de l'Assemblée.

Garat participa activement, avec ses amis Girondins, aux réunions qui visaient à renverser le roi. Les événements se précipitèrent ; une foule armée renforcée des sans culottes marseillais, avec Robespierre à leur tête, envahirent l'Assemblée qui, sous la pression des piques, décida de suspendre Louis XVI et de le remplacer par un Conseil Exécutif provisoire, en attendant l'élection au suffrage universel d'une nouvelle assemblée: la Convention, terme utilisé en Amérique pour désigner une assemblée constituante.

Garat se porta candidat à la nouvelle législature ; mais il ne fut pas élu. Marat disait de lui: C'est un intrigant dangereux et un royaliste masqué. La tension régnait à Paris. Les arrestations de "suspects" se multiplièrent: journalistes modérés, aristocrates et leurs domestiques, prêtres réfractaires... La foule, armée de sabres, de haches et de piques, improvisa des tribunaux populaires dont les jugements expéditifs étaient suivis d'exécutions immédiates. Ce furent les massacres de septembre. Garat se taisait.

Danton, ministre de la justice, ayant démissionné, Condorcet et Brissot proposèrent Garat pour le remplacer. Garat écrivit plus tard: Ce fut un véritable malheur pour moi. C'était l'anarchie et l'arbitraire qui régnait au ministère.

L'Assemblée, dominée par les Montagnards discutaient sur le sort du roi et préparaient son procès. Garat, favorable à l'exil du roi, essaya de sauver sa tête. Mais la Convention condamna à mort Louis XVI. C'est Garat, alors Président du Conseil Exécutif, qui fut chargé, le 20 janvier 1793, de signifier au roi la décision de l'Assemblée. Cette décision fut lourde de conséquences.

Elle dressa la province et les monarchies voisines contre ces révolutionnaires régicides. Les troupes ennemies étaient aux frontières de la France, alors que des provinces se révoltaient, comme la Vendée ou le Labourd où les hommes refusaient de s'engager dans les troupes révolutionnaires et préféraient fuir dans le pays voisin. Ils rejoignaient le Comte de Saint Simon exilé et son armée qui se battait contre l'armée républicaine. Les récoltes de l'année avaient été mauvaises et la disette sévissait. Á Paris, la tension montait de plus en plus avec la famine...

Garat était très critiqué à cause de ses tergiversations. Il essaya de sauver ses amis Girondins contre la droite montagnarde qui les jugeait trop modérés et les fit arrêter, ce que Garat qualifia d'injustice, mais il ajoutait, "méritée" !

La Constitution de 1793 fut élaborée en huit jours, texte très démocratique et inapplicable, d'ailleurs jamais appliqué. Garat, alors ministre de l'intérieur, fut chargé de sa diffusion. Il rapportait alors à la Convention l'accueil enthousiaste qu'il recevait, mais il ne parla pas du Pays basque où à Ustaritz, son frère Dominique et le maire avaient refusé de le diffuser prétextant qu'il n'était pas traduit en basque. Cette attitude incivique fut très mal perçue par les représentants du peuple en mission, Monestier et Pinet, qui, le 2 octobre 1793, envoyèrent les organisateurs de la réunion méditer dans les prisons de Montauban, où Dominique Garat resta jusqu'à la chute de Robespierre, le 9 Thermidor an II, soit le 27 juillet 1794. Voulant éviter un nouveau séjour en prison, il se réfugia à Urdax, en Navarre, dans un monastère des Prémontrés où de nombreux Labourdins, dont l'Évêque de Bayonne, Mgr. Pavée de Villevielle, s'étaient réfugiés.

Nous retrouvons Dominique Garat, à partir du printemps 1795, dans l'administration municipale d'Ustaritz. Il assura la présidence de l'administration cantonale d'Ustaritz, pendant deux ans. Il y défendit la République. Mais il mourut peu après, le 18 novembre 1799. Son fils, Pierre, fut un chanteur célèbre. Baryton ténorisant, il avait une voix d'un registre étendu et beaucoup d'expression. C'est lui qui lança à Paris la mode des incoyables qui supprimaient les "r" de leur langage et usaient d'expressions recherchées.

Á Paris, Dominique Joseph, accusé d'être peu sûr et d'amitiés suspectes fit l'objet d'une vive campagne menée contre lui visant à l'éliminer ; on lui imputait notamment la responsabilité de la disette qui sévissait à Paris. Se sentant en danger permanent, Garat s'empressa de démissionner et de quitter la capitale. Il se réfugia à la campagne dans une petite maison qu'il avait acquise, à dix lieues de Paris, où il vécut relativement en paix avec la famille de sa compagne Marie Sainjal.

Après la fin de la dictature montagnarde, Dominique Joseph Garat revint à Paris où il reprit les cours d'Histoire ancienne au lycée et, grâce à l'intervention de son ami Barrère, fut nommé Commissaire au comité exécutif de l'Instruction publique. De plus, il fut chargé, à l'École Normale, du cours d'Analyse de l'Entendement.

Avant de se séparer, la Convention créa l'Institut National où Garat entra comme membre de l'Académie des Sciences morales et politiques, dans la section de l'Analyse des sensations et des idées ; il collabora à la rédaction du Dictionnaire de l'Académie française. Puis il revint au journalisme, collaborant à plusieurs journaux ; comme naguère, il faisait des critiques littéraires et se livrait à des polémiques.

En avril 1797, de nouvelles élections furent organisée. Garat se présenta et fut choisi, avec cinq autres, parmi les grands électeurs ; mais ses espoirs furent déçus: il ne fut pas nommé Directeur, sous le Directoire. Il se vit proposer le poste d'Ambassadeur à la Cour de Naples, où régnaient les Bourbons. Il se mit en route début mars 1798. Il fut très mal reçu à Naples par le roi et la reine, qui était la soeur de Marie Antoinette, exécutée après Louis XVI, son époux. Son séjour fut de courte durée. Dégouté et humilié à Naples, il ne croyait plus à l'utilité de sa mission et n'attendait qu'une occasion pour rentrer en France.

Il apprit qu'il avait été élu député au Conseil des Anciens du Directoire et en profita pour donner sa démission et rejoindre son nouveau poste. Il rentra à Paris en septembre 1798. Ses interventions au Conseil furent nombreuses et écoutées. Il devint président de cette honorable institution. Il chantait la gloire de Bonaparte qui le subjuguait et, persuadé qu'une âme aussi forte ne pouvait s'abaisser à chercher le pouvoir personnel, tâchait de dissiper les alarmes de ceux qui se montraient inquiets de la trop grande popularité du général.

Le 9 octobre 1799, Bonaparte débarqua à Fréjus. Arrivé à Paris, il vit que la situation était mûre pur un coup d'État. Garat, Sieyès et Talleyrand, qui avaient traversé tous les régimes, furent au coeur du complot. C'est au Palais de Saint Cloud, où s'était transporté le Corps législatif, que s'effectua la chute du Directoire. Les Directeurs démissionnèrent. S'ouvrit alors, le 10 novembre 1799, la période du Consulat. Une commission intermédiaire, où figurait Garat, fut chargée d'élaborer une nouvelle Constitution, dite de l'an VIII.

Bonaparte fut nommé premier Consul pour dix ans, et Garat au Sénat, assemblée chargé de veiller sur le caractère constitutionnel des lois et des actes du gouvernement, où il était l'un des meilleurs orateurs.

Outre le Sénat, Garat était accaparé par de nombreuses activités: membre de l'Institut, professeur au lycée et journaliste ce qui lui permettait de se livrer à son occupation favorite: la polémique.

Bonaparte était agacé par la personnalité de Garat, sa grandiloquence, ses conceptions politiques et philosophiques, mais les éloges que lui prodiguait sans mesure le sénateur le réconfortaient et lui procuraient un grand plaisir. Aussi, dès le début du Consulat, Garat se vit entouré de marques de considération et de faveurs les plus flatteuses. En 1808, Bonaparte le nomma Comte.

Après que le Consulat à vie fut transformé en Empire, Napoléon Bonaparte multiplia les conquêtes, constituant un vaste Empire. Bien que Garat ne fût pas favorable à sa politique, il ne tarissait pas d'éloges sur son héros à tel point que Napoléon lui dit un jour: Eh bien, Monsieur Garat, que voulez-vous que je fasse pour vous?.

Garat en profita pour lui parler du Pays basque, lui vantant ce pays proche de l'Espagne. Depuis longtemps, il pensait que pour assurer une certaine prospérité au Pays basque français, il fallait l'unir aux provinces basques du sud dont le poids économique et démographique était bien supérieur. Il convainquit Napoléon qui envoya ses troupes en Espagne.

Garat rédigea deux rapports successifs. Le premier, Exposé succinct d'un projet de réunion de quelques cantons de l'Espagne et de la France, en vue de rendre plus facile la soumission de l'Espagne et la création d'une marine puissante, fut adressé, en 1808, à Savary, duc de Rovigo, qui commandait les troupes de Napoléon en Espagne. Il insistait sur l'unité de langue et de culture qui unissait ces deux régions et proposait la création d'un État basque, réunissant les sept provinces basques fédérées dans l'Europe napoléonienne et comprenant trois départements auxquels il donnait des noms conformes à l'origine très ancienne des Basques qu'il disait descendre des Phéniciens: la Nouvelle Phénicie, la Nouvelle Tyr et la Nouvelle Sidon. En réponse, il lui fut demandé de donner plus d'ampleur à ses vues et de retracer, à cette occasion, l'histoire du peuplement de la péninsule ibérique.

Garat mit trois ans à faire ce travail ; ce fut son deuxième rapport qu'il adressa cette fois à Maret, duc de Bassano, ministre des relations extérieures. Cet ouvrage est intitulé: Recherche sur le peuple primitif de l'Espagne, sur les révolutions de cette péninsule, sur le Basques espagnols et français. Garat insiste sur la personnalité des Basques, sur le régime de liberté sous lequel ils vivaient, l'importance qu'y tient la religion, leur force de caractère, leur courage, qu'ils soient laboureurs ou marins, leur langue unique et son adaptation à l'évolution du monde moderne. Il cite l'exemple de l'Université de Bergara, en Guipuzcoa, ouverte sous l'impulsion du Comte de Peñaflorida, qui regroupait une élite internationale de physiciens, agronomes, botanistes et économistes, en relations avec les philosophes et les savants parisiens, dont le rayonnement était international.

N'entendant pas parler de son projet, Garat écrivit directement à l'Empereur, lui soumettant un projet moins ambitieux d'un ou deux départements réunissant les Basques. Ce fut la dernière tentative pour réunir les Basques de France et d'Espagne. L'Europe de Napoléon, comme jadis celle de Charlemagne, procédant de vues trop ambitieuses, fut éphémère.

Mais on peut qualifier Dominique Joseph Garat, comme l'a fait Michel Garat, auteur d'un remarquable ouvrage sur lui, de précurseur du nationalisme basque.

Il fit l'acquisition d'une belle propriété, le domaine d'Urdains, à Bassussarry, sur la route d'Ustaritz à Bayonne, où il se rendit fréquemment. En août 1811, il présida l'installation de la Cour Impériale de Justice à Pau. En 1813, il fut nommé membre de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles Lettres de Tarbes. Mais, Napoléon déchu, le rôle politique de Garat semblait terminé. Ayant donné le domaine d'Urdains à son fils Paul, à l'occasion de son mariage, Garat se partageait entre Bassussarry et Ustaritz où il possédait diverses propriétés. C'était un homme riche ; il avait su placer son argent au temps de sa gloire. Il menait une vie calme. Il écrivait. Il fut l'auteur de nombreux ouvrages: Précis Historique sur la vie de M. de Bonnard en 1785, Mémoires sur la Révolution ou Exposé de la conduite dans les Affaires et dans les Fonctions Publiques en l'an III, Notice sur Ginguené et ses ouvrages en 1817, Mémoires Historiques sur le XVIIIème siècle en 1819, outre ses nombreux articles dans Le Mercure de France, Le Journal de Paris, Le Moniteur, Le Journal de la République française, L'Ami des Lois, Le Conservateur, La Clef du Cabinet des Souverains...Ses derniers écrits sont consacrés au Pays basque. Mais ses forces intellectuelles s'affaiblissaient inexorablement. Il finit par avoir une idée fixe: il se croyait ruiné. Il mourut le 9 décembre 1833. Les obsèques eurent lieu à Ustaritz, et Garat fut inhumé dans une chapelle appartenant à sa famille.